Pierre-ciseaux-papier à l’ère du COVID

Pierre-ciseaux-papier

L’action n’a de sens que dans la relation, et sans compréhension de la relation, l’action, à quelque niveau que ce soit, ne fera qu’engendrer des conflits. La compréhension de la relation est infiniment plus importante que la recherche d’un plan d’action quelconque.

Jiddu Krishnamurti

La hiérarchie est morte. Ou du moins, elle devrait l’être. La vaste pyramide des civilisations a connu une bonne – et une moins bonne – période, mais elle s’effondre maintenant sous le poids de ses propres excès. En bref, la hiérarchie viole tout ce que nous savons sur la façon dont le monde – et en particulier la biosphère – fonctionne en réalité.

Cette déconnexion se révèle dans nos jeux de compétition modernes et dans les matchs où nous cherchons toujours à savoir qui est le plus fort. Mais dans la véritable biosphère, le monde se comporte plus comme le jeu de pierre-ciseaux-papier. Il est parfois nommé ick-ack-ock, ching-chang-cholly, zig-zag-zog ou ro-sham-bo, mais quel que soit le nom qu’on lui donne, ce jeu est un modèle parfait pour un écosystème sain, un corps sain et une vie saine. Chaque « joueur » de ce système vivant complexe peut l’emporter sur certains autres à certains moments, mais pas toujours ni partout. Le jeu est autorégulé en interne. C’est ainsi que les biosphères, les écosystèmes et les corps fonctionnent réellement.

Nos esprits occidentaux aiment la hiérarchie et nous sommes prompts à supposer que le monde naturel reflète notre paradigme culturel préféré. Nous aimons gloirifer les lions et autres prédateurs dits alpha, aussi appelés « prédateurs apex ». Mais même cette puissante mégafaune peut être vaincue par des micro-organismes, des insectes, la famine, la sécheresse, les inondations ou le changement climatique. La hiérarchie stricte est une invention des esprits agricoles et industriels ; la véritable organisation d’un système sain est circulaire et horizontale. Il n’y a pas de roi de la montagne écologique. Le même principe s’applique à l’intérieur du corps lui-même. Aucun organe, aucune hormone, circuit cérébral ou neurotransmetteur n’est dominant, pas même le cerveau lui-même. Tous les systèmes sont régulés par un autre système ou par une substance informationnelle. Lorsqu’un processus penche vers un point extrême, un autre intervient pour le contrôler. Les extrêmes sont finalement régulés : pression sanguine, glycémie, rythme cardiaque, digestion, immunité, croissance cellulaire : tous sont soumis au contrôle d’autres entités. Le corps n’est pas une pyra mide, c’est un cercle d’autorégulation.

Les cultures paléolithiques traditionnelles reconnaissaient et embrassaient la nature circulaire du monde dans leur vie de chaque jour. Les anciens savaient qu’il y avait invariablement un processus de vie qui pouvait les battre en cas de confrontation – prédateurs, plantes vénéneuses, intempéries ou maladies.

Le jeu de la pierre, du ciseau et du papier se joue encore en Indonésie sous le nom de « homme-perce-oreille-éléphant ». L’éléphant bat l’homme, l’homme bat le perce-oreilles et le perce-oreilles bat l’éléphant (en rampant dans son cerveau !). Mais malheureusement, la civilisation occidentale ne se satisfait pas de cette réalité pierre-ciseaux-papier. Nous la trouvons trop imprévisible et capricieuse ; nous voulons la maîtriser. Notre but est de devenir, comme l’a dit Descartes, « maîtres et possesseurs de la nature ». Non satisfaits d’une victoire occasionnelle et d’une sécurité raisonnable, nous essayons de truquer le jeu pour que nous soyons toujours l’alpha, l’« espèce apex ».

Les suprémacistes humains n’acceptent pas le moindre refus. Au lieu de se contenter d’un rôle participatif modeste, nous essayons de dominer le jeu avec des machines puissantes, des combustibles fossiles, des pesticides, des ordinateurs et l’hyperspécialisation. De même, nous essayons de préserver notre santé avec des régimes alimentaires « ultimes », des programmes d’exercices spécifiques et toutes sortes d’améliorations des performances. Au lieu de jouer le jeu avec habileté, grâce et dignité, nous essayons de truquer le résultat.

Mais essayer de remporter une victoire définitive dans un monde de pierre, de ciseaux et de papier est un objectif insensé. La biosphère a plus de moyens à sa disposition pour nous battre que nous ne pouvons l’imaginer. La diversité des micro-organismes à elle seule dépasse notre compréhension. La nature est suprêmement créative et trouve constamment de nouveaux moyens de réguler les joueurs défaillants. Comme le dit un dicton japonais populaire, « Le clou qui dépasse sera enfoncé ». Nous défions le jeu à nos risques et périls.

Pour être vraiment en bonne santé, nous devons participer à la vie sur un pied d’égalité et vivre dans le cercle de l’influence et de la régulation mutuelles. Pour jouer un jeu durable de pierre-ciseaux-papier, nous devons en respecter l’esprit et les règles de base. Pour jouer sans défaite catastrophique, nous devons parfois céder à d’autres forces. Cela demande de la modestie.

Un programme de jeux

À première vue, on pourrait croire que le « papier-caillou-ciseaux » n’est rien d’autre qu’un amusement curieux et trivial pour les enfants et les étudiants ivres. Mais il comporte en son sein une leçon puissante, qui nous donne un aperçu important de l’éducation humaine. En effet, les gens comprennent souvent le monde à travers les jeux qui leur ont été enseignés. Au fil des ans, nous avons tendance à oublier les détails et les résultats des jeux eux-mêmes, mais nous nous souvenons des relations, des stratégies et de la psychologie qui les accompagnent.

Il est tout à fait logique de supposer que l’enseignement de différentes structures de jeu incitera finalement les gens à se comporter de différentes manières.

Si nous enseignons aux élèves/étudiants exclusivement par le biais de jeux compétitifs, nous obtenons un résultat ; si nous leur enseignons par le biais de jeux coopératifs et circulaires, nous en obtenons un autre.

Cela doit sûrement nous faire réfléchir. Il est évident que l’enseignement moderne est structuré presque exclusivement autour de jeux compétitifs et d’une progression scolaire compétitive. En fait, nous pouvons très bien qualifier les écoles modernes de « boîtes » ou d’usines à produire des relations d’adversité. Lorsque chaque examen, bulletin scolaire et jeu sportif met les élèves en opposition les uns avec les autres, nous ne devrions pas du tout être surpris du résultat : une société craintive, très stratifiée, en conflit quasi permanent. Nous pouvons qualifier les écoles modernes de sociopathes. Si votre objectif est de monter les gens les uns contre les autres, vous ne pouvez guère faire mieux que de structurer toute l’expérience éducative des élèves autour de jeux et de relations de compétition.

Mais comme nous l’avons vu, la nature est fondamentalement circulaire. Enseigner exclusivement par le biais de la compétition, c’est donner aux élèves une fausse idée de la façon dont le monde fonctionne réellement et, à cet égard, notre focalisation exclusive sur les jeux de compétition est en réalité une forme de malversation pédagogique.

En cela, le remède à nos maux en matière d’éducation pourrait bien se résumer à un simple remède : enseigner des jeux plus conformes à la réalité biologique et physiologique. Si nous faisions cette unique chose simple, nos résultats s’amélioreraient considérablement.

Absence de victoire

À ce stade de notre histoire, l’humilité serait appropriée et judicieuse.

Ralentissez, détendez-vous. Le jeu « pierre-ciseaux-papier » n’est pas le genre de jeu que nous pouvons « gagner », et essayer de le faire ne fera qu’accroître notre souffrance.

Alors, arrêtons la compétition acharnée en toutes choses. Non seulement elle augmente notre stress, mais elle viole aussi la nature même du monde vivant.

La pandémie de coronavirus nous rappelle de façon brutale et vivante la nature de la vie sur Terre, faite de pierre, de ciseaux et de papier. Naturellement, nous souhaitons activement une victoire de l’Homme sur le virus et la promesse d’une solution ultime sous la forme d’un vaccin. Mais même si le vaccin fonctionne, cela ne ferait que retarder notre confrontation avec la réalité et contribuer à notre illusion de suprématie. La véritable solution consiste à comprendre et à accepter la véritable leçon de la biologie : le but du jeu n’est pas de gagner, mais de continuer à jouer !

 

Frank Forencich (traduction Paul Landon)

Extrait du livre Le Programme sapiens à sortir en 2021 chez Ressources Primordiales

2 thoughts on “Pierre-ciseaux-papier à l’ère du COVID

  1. Le titre a éveillé ma curiosité ! Et bien sûr j’ai savouré chaque mot!
    Une belle philosophie de vie partant d’un simple jeu que nous connaissons des le plus jeune âge. À méditer, à partager, à vivre…
    Merci à vous.

  2. excellent…
    Une des meilleures années scolaires pour mes enfants fut celle avec un enseignant qui n’employait que des jeux … coopératifs ! cqfd
    merci pour ces partages

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